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Le repas républicain du 9

Extrait du discours de Georges CLEMENCEAU

Le 30 septembre 1906, George Clemenceau, ministre de l’Intérieur depuis mars et qui deviendra président du Conseil un mois plus tard, revient sur sa terre natale de Vendée pour « apporter l’encouragement d’un des leurs aux républicains de Vendée », bien isolés dans ce département de « chouans » et de résistances tenaces à la République. Il prononce à La Roche-sur-Yon un discours retentissant dans lequel il évoque notamment la Loi de Séparation:

« Notre loi de séparation n’est pas un chef-d’œuvre, je l’ai, pour ma part, assez vivement critiquée. On ne peut nier en tout cas qu’elle n’ait fait, sans compter la part des ménagements, la transition nécessaire. Une loi de séparation absolue succédant, sans transition, à un régime de privilège, aurait fatalement paru à ceux qui ont vécu jusqu’ici sous le régime du privilège, une entreprise contre leurs droits. C’est pour ce motif que la loi a maintenu, pour un temps, à l’Eglise, un certain nombre de ses plus importants privilèges.

Vingt-sept millions sont encore inscrits au budget au compte de l’Eglise romaine qui forment, à cette heure, l’esprit de révolte pour cause, ose-t-elle dire, de persécution. Les édifices du culte ont été gratuitement maintenus à sa disposition. Tels sont les deux principaux traits de « spoliation, de la tyrannie républicaine ». Ce n’est pas tout. Nous avons voulu assurer la loyale transmission des biens d’église aux associations du culte, mais dès les premiers jours, alors qu’on ne pouvait arguer d’aucun droit lésé, alors même que le Gouvernement ne procédait aux inventaires que pour assurer à l’Eglise le plein bénéfice des bien cultuels, puisqu’en aucun pays la dévolution des propriétés ne se peut accomplir sans inventaire ; l’esprit de rébellion s’est manifesté follement, sans l’apparence même d’un prétexte, pour le simple plaisir de déchaîner la guerre civile, dernier recours de ceux qui voient tomber de leurs mains, les armes de la raison.

 

Vous avez vu de malheureux fanatiques en armes attaquer nos soldats, les frappant à coup de crucifix, méconnaissant ainsi le verbe même dont ils se réclament et accomplissant sans remords ce qui devait être à leurs yeux le plus monstrueux sacrilège. Et aujourd’hui même, parce que toujours, dans une large pensée de libéralisme, la loi a réclamé la formation d’associations purement catholiques pour recevoir les biens cultuels qu’on ne pouvait remettre à tout venant. Rome refuse de se plier aux conditions de la loi française qui furent, précisément, édictées en sa faveur. Elle se défie d’associations où les fidèles auront leur mot à dire sur la gestion de leurs biens. Elle repousse d’avance les jugements d’un tribunal français parce que l’Eglise n’y a pas participé et qu’elle n’admet dans son troupeau aucun acte, quel qu’il soit, d’indépendance. Et cette même papauté intransigeante envers la République française et les dispositions libérales de sa loi, se soumet après une protestation platonique à la loi rigoureuse, implacablement autoritaire de l’Empire allemand qui légifère sans la participation de Rome, bien entendu, qui donne plus de pouvoirs aux fidèles dans ces associations du culte que la loi française et qui soumet brutalement les évêques et avec eux toute la hiérarchie, aux décisions souveraines de l’autorité civile.

Pourquoi tant de soumission envers un pouvoir protestant qui tend bizarrement à devenir le protecteur de l’Islam et de la catholicité ? Pourquoi tant de révolte contre une puissance de liberté ?
C’est que la religion vraiment n’est pas en cause. C’est ainsi qu’apparaît clairement l’arrière-pensée de réaction politique, mal dissimulée, sous des prétextes de religion. »